Holly Herndon – Proto
Fraîchement diplômée d’un doctorat obtenu à Stanford en recherche informatique d’acoustique et de musicologie, Holly Herndon livre son troisième album.
Proto peut-il alors être appréhendé sous l’angle un travail de fin de thèse ? Probablement, tant il est dense, précis, structuré et qu’il innove en de multiples aspects. Toutefois, il faut également le replacer dans la continuité des deux premières créations : Movement et Platform. Pour chacune d’elles, une problématique moderne nourrit le projet : le laptop comme instrument le plus intime en 2012 et l’omniprésence de la surveillance sur les réseaux sociaux, en 2015. L’album de 2019 explore l’imbrication de l’humain et de la technologie. Proto est le fruit du travail de Holly, son compagnon Mathew Dryhurst et de leur progéniture cybernétique « Spawn », une Intelligence Artificielle (IA) que le couple a conçu comme leur enfant et dont il assure l’apprentissage.
C’est la première fois qu’Holly Herndon travaille avec une chorale. Les enregistrements obtenus servent de base à l’apprentissage de l’IA, la mettant ainsi au contact de l’harmonie vocale. La culture musicale de l’artiste lui permet de marier la modernité la plus absolue avec l’univers musical hermétique d’Hildegarde Von Bingen, une ecclésiastique et compositrice allemande du XIIe siècle. Cette confluence temporelle a de quoi surprendre, et il faut reconnaître qu’un titre comme Godmother ne s’apprivoise pas à la première écoute : composé à partir de lectures faites par l’artiste Jlin et réinterprétées par l’IA selon les intonations de la voix de sa « mère technologique », ce morceau apparaît comme le babillement brut d’un enfant découvrant une nouvelle possibilité d’interaction avec le monde extérieur.
A l’inverse Alienation, fabuleusement construit, et d’une puissance émotionnelle rare démontre brillamment ce qu’apporte une maîtrise sans failles des instruments, qu’ils soient analogiques ou numériques !
Que dire encore de Frontier ? Un chant polyphonique soutenu d’abord discrètement par un léger sequencing, puis affirmé par des basses ultra appuyées, sans jamais qu’il ne disparaisse derrière ce mur d’arrangements. Tout le savoir-faire de l’artiste consiste à manier les concepts et les thèmes les plus pointus : intelligence artificielle, écriture liturgique médiévale, bactériologie (dans Extreme Love) pour les rendre cohérents, les unir. La pochette de l’album reprend d’ailleurs ce principe en présentant le visage composite d’Holly Herndon et de nombreux de ses collaborateurs.
Holly Herndon déclarait récemment qu’elle construisait « une IA capable d’apprécier et d’interagir avec la beauté humaine », celle notamment des chœurs. Ce qu’elle ne précisait pas, c’est la dimension nouvelle qu’elle atteint en offrant à l’auditeur d’assister à l’émergence de cette interaction. Le public entre en empathie avec cette intelligence naissante.
Splendide…… ou effrayant, Fear, Uncertainty, Doubt comme l’annonce le 9ème titre de cet immanquable album à se procurer d’urgence !
Nicolas Duquenne