Tawa Remixes

Deena Abdelwahed – Tawa Remixes

juin 2019 |

Lors de la sortie l’an dernier de l’album Khonnar dont est issu le morceau Tawa remixé aujourd’hui, Libé signait un élogieux article sur l’« électro dur à queer » de l’artiste d’origine tunisienne.

Cette jeune DJ aujourd’hui adoubée, résidente au Concrete à Paris, habituée du Berghain à Berlin, confie le titre Tawa (« maintenant »), à quelques confrères de renom qui vont le décliner dans leur style personnel. Il faut noter qu’un autre EP que celui présentement chroniqué existe également. Intitulé Khonnar Remixes, il fait intervenir d’autres artistes qui retravaillent divers morceaux de l’album.

Commençons par le producteur berlinois M.E.S.H qui procède comme à son habitude à une déstructuration rude du son clubbing. Le résultat oppresse avec ses sons lourds et ses basses écrasantes. Malgré cela, la frénésie parcourt l’ensemble de la piste. Comme une réplique sonore à ce que vit la jeunesse du monde arabe.

Un remix particulièrement orienté techno, et parfaitement réussi est celui de la jeune productrice anglaise Karen Gwyer. Au cours des 7 minutes que durent ce remix, l’empreinte sonore de la piste d’origine est subtilement dévoilée, tantôt mise en avant, tantôt ensevelie sous une nappe de synthés pour mieux être redécouverte l’instant d’après.

La base du Tawa original est également très bien préservée au cours du remix qu’exécute le français Basile 3. Avec lui, les textures sonores sont privilégiées, consciencieusement déployées autour de chaque son d’origine. Comme une perle venant percuter l’eau calme d’un lac, des artéfacts apparaissent, s’élargissent, se rencontrent puis s’évanouissent.

L’efficacité du remix de Clip est redoutable : répétitif, lancinant, hypnotique, le parti-pris est clair. En quelques secondes notre attention lui est entièrement acquise et plus rien n’a d’importance. Le temps est suspendu à ce beat constant.

Deena Abdelwahed, si elle revendique son identité maghrébine pour mieux ironiser sur les sociétés patriarcales du secret et de la honte (ce que signifie « Khonnar », en argot tunisien), refuse d’orientaliser sa musique. Elle fait partie de cette scène de musiques électroniques, encore disséminée et embryonnaire du bassin méditerranéen qui dessine les nouveaux horizons des cultures arabes. Quel plaisir de savoir que parmi les sources d’inspiration de la jeune musicienne, on trouve le poète égyptien Abdullah Miniawy !

Très belle découverte que ce court EP ! Ouvrant vers d’autres artistes (Nadah El Shazly, Maurice Louca et Sote, pour ne citer qu’eux), l’horizon s’élargit en même temps qu’il émancipe.

On ne restera pas insensible non plus enfin au magnifique travail photographique qui accompagne les dernières productions de Deena Abdelwahed. La photographe et designeuse allemande Judas Companion offre des pochettes somptueuses où le beau et le caché se répondent, le puissant et l’émotif se complètent. Pour ceux qui en douteraient encore, l’art développé par cette talentueuse DJ repose sur cette permanente attraction des contraires.

Nicolas Duquenne