Persona

Bertrand Belin – Persona

février 2019 |

Avec ses vers en prose chaloupée et son parlé enchanté, le coquet crooner breton Bertrand Belin a sorti le 25 janvier dernier son nouvel album sur l’un des labels indépendants parisien le plus réputé du moment : Cinq7. Il signe, des textes aux images, un nouvel ensemble hyper personnel tout au long de cette période qui se présente comme la plus complète de sa carrière artistique : Persona est un album poétique qui emprunte le masque d’une réalité sociale plus que familière.

Initiales BB
Parfois, un petit rien suffit pour convenir d’une destinée. D’une naissance à Quiberon, d’une enfance dont le père navigue entre alcool et violence, d’une certaine tendresse envers l’océan ou d’une attirance profonde pour la capitale. Aussi, deux lettres peuvent s’avérer suffisantes : initiales B – B. Un trait d’union entre deux générations, entre deux mecs tiraillés par les mêmes questions de vie : Gainsbourg – Belin. Un destin saupoudré par le hasard de la vie. Cette année 70 annonçait déjà la couleur face au plus grand parolier que la France ait connue jusqu’alors, Serge Gainsbourg, et donnait naissance à l’un de ses meilleurs successeurs. Bertrand Belin est de cette trempe-là : un accordeur, un ciseleur, un admirateur des mots et un artiste sensible qui sait jouer avec les timbres de voix, les rythmes musicaux et leurs va-et-vient. C’est aussi un artiste hyper complet. Tantôt guitariste pour les autres (Bénabar, Sons of the Desert, Stompin’ Crawfish), chanteur aussi (dernièrement sur le très sublime Dimanche avec le groupe de rock garage méditerranéen The Limiñanas), compositeur (Ma vie avec James Dean dans lequel il joue aussi un petit rôle), acteur de théâtre, écrivain (six romans déjà dont Till, Requin et le tout nouveau Grands Carnivores, encensé par la critique). On découvre Belin – le musicien solo – avec l’album éponyme Bertrand Belin (2005), puis avec La perdue (2007) et Hypernuit (2011) pour enfin accéder à la consécration métropolitaine : coup-sur-coup avec Parcs (2013) et Cap Waller (2015) dont tout le monde s’accordait pour dire de ce dernier qu’il était le plus beau de tous.

La mélodie des maux
Persona, son sixième album est là pour tordre le cou à cet adage : c’est le plus abouti, une nouvelle fois. La prophétie se répète inlassablement depuis plus de dix ans avec toujours la même recette : Belin est sans étiquette. Ni rock, ni fun, ni folk, l’artiste expérimente avec sa voix ébréchée là où il a envie d’aller. Le titre fait d’abord écho à un film d’Ingmar Bergman, un drame suédois assez spécial et sombre. Les chansons de ce nouvel album sont courtes mais choc. Les silences sont multiples comme pour mieux faire ressortir la rareté des mots présents, tel un trésor unique. Belin possède l’art et la manière de chanter. D’ailleurs, il chante comme on pourrait parler, comme on pourrait réfléchir aussi. Les thèmes utilisés touchent chacun d’entre nous à un moment ou un autre de la vie : la solitude amoureuse dans l’entêtant Choses nouvelles (il faut voir le clip tourné à République), la peur de revoir l’ex dans Sous les lilas ou bien encore la rupture et le tiraillement des idées dans Nuits bleues. Il est très souvent question d’affection et de sentiments chez Belin, c’est encore plus fort, plus incrusté dans ce nouvel opus. Le breton parle aussi de la question des migrants dans De corps et d’esprit où il tente des expérimentations au clavier assez réussies et rares chez lui, joue aussi entre les sonorités de guitare et les mots dans Glissé redressé. Sublime.

Persona est un album complet, une tribune sociale. En réalité Belin nous laisse les cartes entre les mains, nous écoute profondément, nous soutient tendrement et nous laisse l’opportunité d’apprécier chaque situation quotidiennes avec ses saillis de silence : c’est un psychanalyste de la chanson française. Il maîtrise les transitions comme personne. Il n’est pas un chanteur à textes, c’est un arrangeur de silence, un mixeur de rythmes, un architecte de la langue française qui permet de mieux mettre en lumière les maux dont nous sommes accablés.

Bastien Boisson