Lucinda Williams – This Sweet Old World
La vieillesse est un naufrage et le temps, une fatalité inéluctable. Voilà des adages populaires si répandus qui nous poussent toujours à voir le verre à moitié vide lorsqu’il s’agit du temps qui passe. Une nostalgie teintée de fatalisme qui voit ce récipient se vider chaque jour davantage.
Mais il est aussi possible d’appréhender le fil de la vie d’une façon plus riche et inspirante. C’est en tout cas ce que la démarche de Lucinda Williams nous évoque avec son dernier album This Sweet Old World. Pour les plus connaisseurs de la carrière de la chanteuse et songwriter américaine, ce titre a quelque chose de familier. Rien ne pourrait être plus vrai puisqu’il s’agit d’un réenregistrement complet de son album sorti en 1992 : Sweet Old World.
Un disque qui reprend donc les mêmes morceaux que son prédécesseur mais dans une toute nouvelle lecture. En premier lieu, Lucinda Williams a choisi d’enregistrer cette nouvelle version avec les musiciens qui la suivent depuis quelques temps déjà sur scène et en studio à savoir : Stuart Mathis à la guitare, David Stutton à la basse et Butch Norton à la batterie. Un trio de choc dont l’alchimie est bien rodée. On notera aussi la présence de Greg Leisz, guitariste déjà présent lors de la version de 1992.
Une nouvelle équipe qui induit une direction artistique avec des choix musicaux bien différents. Là où le premier album s’était armé de violons, d’accordéons et de claviers pour un style vacillant entre le blues-folk et le country-pop, ce nouvel opus joue la carte de l’instantanéité brute, beaucoup plus blues et enfumée. Une relecture musicale qui sied d’avantage à des textes qui par ailleurs ont toujours été assez sombres et mélancoliques. Le titre phare Sweet Old World est ainsi un hommage à un ami proche de la chanteuse qui s’est ôté la vie.
Si le choix musical semble revenir d’une sorte de candeur de la première mouture, la voix de Lucinda Williams, beaucoup plus rauque et grave qu’alors, donne elle aussi une nouvelle dimension aux textes. Cette profondeur que les années ont apportée, rehausse le caractère mélancolique et introspectif des chansons. Comme pour Marianne Faithful, le fil du temps a renforcé les textes à la maturité précoce de la chanteuse américaine.
Mais ce This Sweet Old World est également un nouvel album à part entière. Une version qui tend à aller vers une voie propre. Une volonté affichée de Lucinda Williams qui a, pour ce faire, réengager tout un processus créatif. Ainsi, l’ordre des morceaux s’est vu modifié. He Never Got Enough a également été renommé Drivin’ Down A Dead End Street afin d’éviter une confusion avec un morceau de Bob Dylan. Mais surtout, l’album se retrouve amplifié de nouveaux titres : Factory Blues, Dark Side of Life, John Anderson’s Wild and Blue et What Do you Know lequel est écrit par les songwriters John Leventhal et Jim Lauderdale.
Beaucoup plus franc, sombre et épidermique que son prédécesseur, This Sweet Old World, sorti en 2017, et la preuve que le temps fait aussi son office pour le meilleur. Il permet aujourd’hui de remettre en lumière un bijou de la discographie de l’artiste, passé alors plutôt inaperçu entre Lucinda Williams en 1988 et le très salué Car Wheels on a Gravel Road de 1998. Une nouvelle vision artistique qui, malgré les qualités de la première version, sonne avec plus de justesse et de profondeur aujourd’hui qu’hier.
Julien « Jay » Sahuquillo