J.S. Ondara – Tales of America
Touchant et charismatique, le chanteur kényan J.S. Ondara nous dévoile son tout premier album, Tales of America, sublime. Un voyage à travers onze titres qui répond à une volonté de conter, avec un certain romantisme, les promesses et les revers de son pays d’adoption : les États-Unis.
La radio comme destin
Quand on l’a rencontré en showcase aux Halles, on doit bien reconnaître que malgré son menu gabarit, la présence de Jay Smart Ondara nous a quelque peu chamboulé. Une telle puissance et justesse de voix, de jeu, de look pour un si jeune homme (26 ans) ça n’est pas commun du tout, surtout pour un premier album. Le kényan est magnétisant. Né à Nairobi, il passe son enfance dans une famille très modeste où la radio familiale, toujours allumée, participa à l’élaboration de sa culture musicale. Il déménage à Minneapolis en 2013 pour rejoindre une tante grâce à l’attribution d’une Green Card Lottery (sorte de visa qui permet de vivre et travailler aux USA de manière illimitée) et découvre chez elle une vieille guitare qui lui permet de plaquer quelques accords folk. De fil en aiguille, il écume les scènes ouvertes locales, il reprend quelques classiques rock en s’enregistrant sur Youtube et, surtout, auto-produit son premier EP avec son matos et ses moyens personnels. Andrea Swensson, journaliste musical sur la station locale The Current met la main sur une de ses compositions et le fait immédiatement entrer dans ses programmations journalières : une nouvelle fois la radio joue un rôle déterminant dans son histoire. Tout s’accélère, il sort le tube American Dream en octobre 2018, signe sur le label Verve, ouvre les concerts de First Aid Kit et fait son entrée dans les playlist de France Inter en France pour la toute nouvelle renommée qu’on lui prête aujourd’hui. Sa carrière (et sa vie de manière générale) vont basculer à l’écoute d’une chanson lorsqu’il est encore à l’université : Knockin’ on Heaven’s Door dont il a cru pendant très longtemps qu’elle était la propriété de son groupe préféré Guns N’ Roses jusqu’à ce qu’il apprenne via un pari perdu avec un ami que c’était Bob Dylan qui en était l’auteur. À partir de ce moment une seule quête l’anime, aller là où son cœur lui dit d’aller : et pour lui, c’était Bob Dylan.
Le catalyseur Dylan
C’est pourtant à un tout autre mythe du monde de la musique qu’il va accorder sa confiance pour enregistrer cet album inaugural, le Sunset Sound Recorders à Los Angeles (studio mythique des albums Purple Rain, Pet Sounds, Exile on Main St. ou Strange Days en autres). L’homme et sa guitare, seuls, dépeignent une réalité crue des États-Unis d’Amérique à la croisée de la folk et du blues. Les titres American Dream et God Bless America sont des tableaux qui montrent avec insistance l’écart qu’il peut y avoir dans une Amérique à deux vitesses : celle qui nous vend du rêve (surtout pour un non américain de naissance) et celle que nous vivons réellement. Coiffé de son chapeau fedora, Ondara couvre d’une voix nue et résonnante Saying Goodbye, titre phare de l’album, par un sentiment mitigé de haine, de culpabilité et de solitude. Chacune de ses apparitions live se termine avec ce titre, comme un symbole. Torch Song et Television Girl sont des portraits blues d’une Amérique éprise de ses rêves de grandeurs et décrits par un garçon, émigré, méditant et cherchant une quelconque sagesse dans ses rêves d’enfant. Entouré de Taylor Goldsmith (Dawes), Andrew Bird, Joey Ryan (Milk Carton Kids) sur ces enregistrements, J.S. Ondara a sélectionné onze titres parmi un répertoire personnel d’une centaine de compositions dont les thèmes centraux restent l’immigration et le – grand – rêve américain.
De cet album romantique, puissant et élégant ressort une impression générale où la voix et la guitare entrent comme dans une sorte de résonance infinie. Une composition purement transcendante qui allie une voix haut perchée à la déprime d’une guitare acoustique pour finalement interpréter un voyage à travers les cinquantes états du pays de l’Oncle Sam. Cette voix caverneuse et douce à la fois restera comme un disque qui compte en 2019. Un deuxième album, vite !
Bastien Boisson