Delgrés – Mo Jodi
Ce n’est pas tous les jours qu’un groupe originaire de la Guadeloupe fait parler de lui au-delà des Antilles. De surcroît, quand celui-ci compose une musique totalement inédite, il est urgent de s’y plonger les oreilles grandes ouvertes.
Delgrés est un trio sorti d’on ne sait où, qui joue du blues à la mode créole. C’est ce creuset dans lequel fondent et se mélangent l’histoire abolitionniste, l’ascendance africaine et la culture métropolitaine.
Une musique qui rappelle l’authenticité des débuts du blues, sur les rives boueuses du Mississippi. Il s’agissait alors d’exprimer la dureté des conditions de vie mais aussi de conjurer le mauvais sort, et de se soutenir autour d’une même souffrance. Les ancêtres Cajuns ont été convoqués, ils se sont réunis et se manifestent aujourd’hui à travers Mo Jodi.
Les cordes de la guitare qui grattent, qui frisent, qui saturent, les textes à l’apparente légèreté mais à la sensibilité exacerbée, les arrangements de brass-band, tout concourt à produire un cocktail musical unique, un subtil équilibre reposant sur une sincérité de chaque instant.
La créativité déborde largement le strict cadre musical. C’est la France d’outre-mer souvent réduite à ses plages touristiques, à ses eaux turquoises et à ses problèmes socio-économiques, qui s’exprime par la voix du trio Delgrés. La francophonie se réinvente là bas. Il serait enfin temps de reconnaître à la création artistique, littéraire et culturelle de cette autre France la valeur qu’elle mérite, loin des clichés exotiques encore trop souvent évoqués lorsqu’il est question de l’outre-mer.
Les 12 titres sont écrits et chantés en créole. La musicalité de cette langue fait des merveilles sur des titres comme Sere mwen pli fo ou encore Chak jou bon die fe. On ferme les yeux et notre quotidien s’évapore. Nos soucis sont alors derrière nous. Telle apparaît la puissance contenue dans ce très bel album. Un moment suspendu que seuls les artistes véritables réussissent à offrir à leur public. Les occasions de se réjouir ici-bas sont suffisamment rares pour ne pas passer à côté de Delgrès, de leur album et de leur tournée actuelle.
Les plus curieux auront de plus l’occasion de remarquer le son si particulier du soubassophone présent sur la plupart des morceaux.
Nicolas Duquenne