Yakhal'Inkomo

Winston Mankunku Quartet – Yakhal’Inkomo

janvier 2018 |

Alors que l’on apprend le décès du très grand cornettiste sud-africain Hugh Masekela, c’est une autre légende (décédée en 2009) que Jazzman Records a décidé de rééditer récemment.

Winston « Mankunku » Ngozi et son saxophone ténor vont se faire connaitre des auditeurs européens.

Originellement sorti en 1968, Yakhal’Inkomo a immédiatement séduit le public sud-africain. Plusieurs centaines de milliers d’exemplaires ont été vendus dans ce pays. Mais, comme ce fut le cas pour de nombreux artistes, l’apartheid instauré depuis une dizaine d’années avait hermétiquement clos les frontières de ce pays.

Avec cette réédition, ce chef d’œuvre du jazz va enfin pouvoir atteindre un très large public.

Le quartet emmené par Winston Ngozi (alors âgé seulement de 24 ans !) a imprimé l’ambiance d’une époque dans chacune des notes de sa musique : « Yakhal’Inkomo », littéralement le « beuglement du bœuf amené au sacrifice » traduit les souffrances de tout un peuple violenté et brutalisé par un régime barbare.

Les 4 instrumentistes, Winston « Mankunku » Ngozi au saxophone ténor, Lionel Pillay au piano, Agrippa Magwaza à la contrebasse et Early Mabuza à la batterie sont les porte-voix d’un peuple profondément martyrisé qui résiste avec éloquence et superbe. Cette résistance n’est pas un vain mot pour Winston Ngozi. Alors que de nombreux artistes sont contraints à l’exil, il fait le choix courageux de rester sur place quitte à devoir jouer derrière un rideau lorsqu’il accompagne des musiciens blancs, forcé de respecter l’ignominieuse loi contre les orchestres mixtes.

Des morceaux comme Dedication For Daddy Trane and Brother Shorter ou encore Bessie’s Blues sont autant des hommages que des appels à une libération de tout un peuple. Dès les notes d’ouverture de la contrebasse sur le titre Yakhal’Inkomo, on ressent qu’une expérience musicale très spéciale est en train d’avoir lieu.

Evidemment l’album Yakhal’Inkomo est un monument du jazz moderne au même titre que A Love Supreme de Coltrane, et il mérite cette reconnaissance internationale. Mais c’est aussi une œuvre artistique majeure, engagée, et incarnant l’essence d’un moment d’Histoire.

Cela justifie amplement de voir apparaître cette réédition dans la série Holy Grail de Jazzman Records.

Enfin, et parce qu’il ne faut pas bouder le plaisir quand il arrive, cette écoute pourra être une merveilleuse voie d’entrée dans l’univers si riche du jazz sud-africain. A vous l’indispensable Abdullah Ibrahim ! A vous le brillant Hugh Masekela ! A vous l’original Dudu Pukwana ! A vous l’élégance de Victor Ntoni.

Nicolas Duquenne

Vinyle disponible chez Balades Sonores