LAZY PEOPLE WILL DESTROY YOU

Raskolnikov – Lazy People Will Destroy You

mars 2020 |

C’est le titre de ce nouvel album de Raskolnikov illustré par Salomé dansant devant Hérode.

Titre-phrase affirmative à traduire par « les fainéants auront ta peau », sentence caméléon que chacun saura s’approprier, immédiatement intrigant, tout autant que le titre-phrase injonctive du morceau qui ouvre « Faut pas faire chier Albert Roche » aux guitares tempétueuses qui fait référence à une vidéo de l’historien, blogueur et auteur Julien Hervieux (aussi connu sous le nom d’Odieux Connard).
Pour la petite histoire – vraie ! -, Albert Roche fut un jeune soldat chétif de la première guerre mondiale, engagé volontaire, héros sans être reconnu, en secourant nombre de vies. A l’époque, la propagande véhiculée à l’école primaire visait à faire de bons citoyens et de braves soldats…

L’application à notre temps, Raskolnikov nous y amène en filigrane dans le texte et dans une rage manifeste de la composition, et les assauts ferrugineux du lead vocal. Et puis il y a l’épisode II de Stockholm à l’écriture plus pop – après un pilote dans le premier album – qui évoque la mémoire et la passion qui ne meurt pas. Avec No Safety Word on est un peu dans l’ambiance Transformer de Lou Reed. Pas de mot sécurité qui signifie la fin du jeu, une tension sado-maso. Quand Fall Colours, hypnotique, nous immerge avec nostalgie dans la cold wave d’avant, Montauk Point Lighthouse reprend la course, avec dédicace à ceux qui y verront résonner le film de Michel Gondry, lui même inspiré du roman autobiographique de l’écrivain et architecte suisse Max Frisch. Sisyphos, percussive, fait danser ensemble les fantômes de Camus et Curtis, pour le dernier dans des déhanchés certainement au moins aussi épileptiques que de son vivant. Référence mythologique ukrainienne cette fois, nous avons également Vij, démon qui apparaît dans la nouvelle de Nicolas Gogol en 1835. L’ambiance est lourde, suffocante, incarnant l’angoisse, la vengeance, les démons qui viennent, qu’on croit assassinés mais qui reviennent encore et toujours jusqu’à la dernière expiration. On écoutera volontiers Sold Dead Souls dans les mêmes prédispositions. Avant de retourner à Stockholm pour un épisode III, Don’t want to see the Doctor today révèle de nouvelles dimensions à la voix du lead et au jeu guitaristique, en clair-obscur. Un hommage définitif à ce que le rock eighties a produit de plus puissant.

Nous reprenons un peu nos esprits après les apnées sous la glace pour parvenir enfin à l’éclaircie blafarde, clôture en promesse – peut être – de délivrance, avec Stockholm III et à une apparente sérénité, des associations rythmique et mélodique ralenties et cotonneuses. Vladimirka évoquée ici est la route empruntée par les condamnés au goulag. Très souvent un aller simple. Dostojevski dont Raskolnikov est un illustre rejeton littéraire – soit dit en passant – l’a empruntée après avoir été gracié. Il a eu la chance d’en revenir quatre ans plus tard.

Il faudra qu’on se remette de cet album composé sur les bords du lac de Constance.

C’est dense, comme une quête initiatique à multiples facettes, c’est cold assurément mais ça transpire aussi… le feu sous l’apparent iceberg… et c’est hautement addictif.

Charlotte Lafon