Monts et Merveilles – Mount Analogue
Quelles sont les origines du projet Mount Analogue ?
Moi-même et Alex jouons ensemble depuis une dizaine d’années. On a commencé avec le groupe Coming Soon dans lequel nous sommes tous les deux guitaristes. Il y a quatre ans on s’est mis à l’électronique pour ses perspectives expérimentales et ainsi sortir du carcan du rock indé.
Vous ressentiez une forme de frustration dans le rock ?
Il s’agissait surtout de pouvoir enrichir notre palette de sons. Avec une guitare tu peux tordre le son et t’amuser avec ça, mais les textures sonores n’offrent pas un champ aussi large que l’électronique.
Votre dernier Ep, Yama, exprime des cadences frénétiques et rompt de fait avec l’humeur « ambiant » de vos précédentes productions. Pourquoi ce choix ?
Nous voulions exprimer une musique qui impacte le corps. C’est une volonté qui nous a toujours animé. Yama exprime en quelque sorte un état de transe. Son humeur rejoint le champ de la musique psychédélique sur un point en particulier, l’articulation du corps avec l’esprit. C’est un genre sonore qui interpelle le corps par son côté « délirium » mais aussi l’esprit quand elle se fait plus intellectuelle en terme de structures.
D’ailleurs vous avez abandonné toute forme de chant, un choix délibéré ?
Oui, il s’agissait de faire parler la musique avant tout. Ce n’est pas parce qu’elle est dénuée de texte qu’elle n’exprime pas plus de choses, au contraire. On s’est d’ailleurs focalisé pour Yama sur des nappes aux fréquences basses car elles agissent directement sur le corps.
Le premier morceau de Yama s’égraine sur 12 minutes et invite à un voyage musical progressif. Cette ossature est-elle sous-jacente à la composition de Yama ?
En effet, notre musique se base sur un principe narratif. On part d’un point pour en relier un autre avec différentes étapes vécues durant ce temps. La durée du morceau est aussi due à l’exigence du format cassette, qui oblige au même temps d’enregistrement sur chaque face. Bien que cet exercice fut coercitif, il s’est déroulé très naturellement.
Pourquoi n’avoir sorti Yama que sous forme de cassette ?
Le format physique du CD tend à disparaître et le vinyle coûte cher à produire. La cassette nous a évoqué cet aspect nostalgique en lien avec l’enfance. Yama est du reste disponible en version digitale sur Bandcamp.
Quels sont les instruments que vous avez utilisé pour composer ? Quel est votre processus de création ?
En règle générale nos compositions naissent de longues sessions jam. A partir de cette masse, on tente de faire ressortir des mélodies etc… Notre manière de créer du son se fait en deux temps, l’un très spontané et l’autre plus réfléchi. On enregistre tout nous même dans notre chambre ou notre « pseudo » studio. En fonction de l’humeur et du lieu, nos sources d’inspiration ne sont pas les mêmes. Dernièrement on a privilégié la recherche rythmique à celle mélodique notamment depuis qu’on collabore avec le guitariste expérimental Jean-François Pauvros (free rock). Il travaille beaucoup sur les distorsions et exprime une onde musicale très bruitiste. Cette relation nous nourrit énormément. Toutes ces expériences sont fertiles et nous amènent à développer une nouvelle forme sonore. L’expérience compte beaucoup pour enrichir une texture musicale.
En outre on s’est énormément servi de synthétiseurs, analogiques et numériques. Une grosse partie de la composition des morceaux s’est faite par ordinateur. Plusieurs merdes nous sont arrivées avec nos ordinateurs d’ailleurs, mais ce fut un bien pour un mal car cela nous a poussé à nous délester de cet objet. On a ainsi glissé du côte des samplers et séquenceurs notamment pour reproduire l’univers des percussions traditionnelles du Japon. Du reste, en composant avec un synthétiseur, j’apprend à visualiser la forme du morceaux via l’oscillateur d’ondes. On tente en ce moment de créer une polyphonie juste en observant le spectre des fréquences, cette technique est certes méticuleuse mais le champ des possibles s’en trouve décuplé.
Pourquoi cette esthétique nippone autour de Yama ?
Elle émerge d’une sorte de fascination pour l’univers asiatique traditionnel. Cela dépasse le champ musical, j’apprécie leur manière d’appréhender l’univers, leur vision cosmogonique. Alex, lui, est très épris des jeux vidéos. Le début de l’ère du jeu vidéo a fait émerger une forme musicale originale, le 8 bit, reconnaissable grâce à son expression compressée qui supprime de nombreuses fréquences. Cette limitation sonore nous a en effet beaucoup parlé pour créer, si tu cherches bien tu pourras d’ailleurs retrouver certains samples issus de Zelda. Cette imagerie inhérente au visuel pixélisé des premiers jeux vidéos fut aussi source d’inspiration. Ce côté minimaliste participe à notre emprunte sonore. En outre je suis un grand fan des films d’horreur japonais et des masques issus de l’univers traditionnel nippon. Les masques No que nous portons sur scène ont ce côté ambivalent, à la fois sobre et expressif, ce qui les rend énigmatiques… La culture ésotérique asiatique est quelque chose qui continue de nous influencer.
A quand une production sur le long terme ?
Créer un album de musique électronique long format est quelque chose qui nous fait évidemment très envie. Mais à la différence d’un album à textes, l’électronique pour faire sens, doit narrer une histoire au travers du cheminement exprimé par les pistes entre elles. Le processus est en marche, on bosse d’ailleurs en ce moment sur la bande son d’une pièce de théâtre. Cela va grandement nous aider à penser un disque sur une plus longue distance temporelle.
Comment s’exprime votre musique sur scène ?
La formule live de notre musique est en train de muter notamment car nous délaissons peu à peu l’utilisation de l’ordinateur. Cela s’est encore fait très naturellement, depuis un concert où notre ordinateur nous a lâché au moment des balances. Nous avons du improviser à défaut de devoir annuler le concert et l’exercice fut très libérateur. On utilise plus d’ordinateurs depuis… Ce dernier a délaissé dans le même temps notre manière de composer, on ne s’en sert plus que pour la partie postprod. Notre musique s’en est ressentie est devient encore plus bruitiste sur scène que sur nos albums.
Des Influences ?
Animal Collective fut un gros déclic… Sonic Youth reste une source d’inspiration en terme de Noise et de sons cassés. Fuck Button et Godspeed nous ont aussi imprégné. J’aime le côté grandiloquent des morceaux de Fuck Button.
Votre musique semble toujours se diriger vers des hauteurs inatteignables ? Tu confirmes ?
Klaus Schulze, musicien allemand des années 70, à la baguette d’une électro progressive, a été déterminant dans cette imprégnation. Nous venons de plus de Haute Savoie, l’univers géographique de cette région nous a certainement inspiré. La musique électronique n’est pas forcément reliée à l’urbain, elle peut exprimer une dimension fortement naturaliste.
Comment traduis-tu cela ?
Il faut rompre avec les analogies à la con, ce n’est pas parce que tu fais de la folk que tu as un rapport à la nature plus développé. A part le bois de la guitare, l’aspect naturel s’arrête là. Ce genre est primitif mais pas naturaliste. La grandeur de la nature est pour moi plus facile à dépeindre en usant de longues nappes analogiques que l’on torpille les unes aux autres. Il faut sortir des idées reçues sur la distribution de la musique, l’électro, c’est pas seulement le clubbing…
Yama imprime une musique très rythmique pourtant ? On pourrait très bien danser dessus ?
Il faut s’interroger sur le terme « danser ». C’est une action qui se fait à la condition d’un certain état d’esprit, on peut le rapprocher à une certaine forme de transe en ce sens. Personnellement je suis très mauvais danseur et je ne suis pas du genre à remuer en concert. Mais lorsque tu sors en soirée, en club par exemple, la musique interpelle généralement de basses fréquences qui se ressentent au travers du corps entier et non directement par les oreilles. Cette vibration est physique avant d’être intellectuelle et appelle logiquement au mouvement des membres.
On ressent à ce propos des passages très deep house dans votre musique…
L’âge d’or de la techno en Europe continue de nous inspirer en effet. C’est peut être le dernier grand mouvement musical identifiable en tant que tel.
Où vous positionnez-vous dans l’industrie musicale actuelle ?
La question est délicate, du fait que l’on brasse pas mal les genres et que nous soyons hybrides. Nous avons des difficultés en terme de réseau et de diffusion quant à trouver des lieux pour jouer notre musique en live. L’industrie musicale en France possède ce problème de vouloir absolument labelliser un artiste sous un genre. On lui demande d’exprimer une histoire, d’avoir une identité mais cela ne devrait pas être la priorité pour qu’il puisse diffuser sa musique à plus grande échelle. L’important est de rester libre artistiquement.
Ton regard sur la scène francophone ?
Plein de trucs cools se passent, mais comme je te le disais, l’exposition d’un artiste qui bouscule les genres est délicate, ça reste surtout une question de microcosme musical. Il existe tout de même des ensembles intéressants en terme de création artistique, tels que Indian Red Head proche d’AB Records notre label lyonnais, tout comme le collectif Velour de Montpellier dans la veine de Warp. Il y a aussi l’Espace B dont la ligne est d’aider les jeunes artistes en tous genres à se promouvoir sur scène, c’est l’un des rares lieux à Paris à le faire. Il existe une tradition underground en France, le problème n’est pas le talent de la scène française mais sa diffusion. Cela entraine une certaine éducation du public et de fait l’aveugle sur ce qui se passe en dehors des gros circuits musicaux. De plus la scène musicale française est trop centralisée sur Paris. Dans la capitale c’est aussi une histoire de petits milieux dans lesquels tout le monde se connait et où une certaine déprime, communicative, empêche le partage et la diffusion d’artistes musicaux en devenir. Un artiste qui connait le succès le doit à tous ceux qui oeuvrent pour lui. Le RnB américain est très mainstream mais très aventureux aussi en terme de production, il s’inspire de fait d’un univers très indépendant. Le milieu indépendant en France à ce mauvais côté de rejeter plein de trucs par pur snobisme. Il ne faut pas avoir peur de devenir un vendu pour telle ou telle collaboration. La musique c’est aussi une histoire d’influences partagées.
Que veux-tu faire passer au travers de ta musique ?
De l’amour avant tout, rendre l’auditeur heureux, l’ébranler aussi en abattant ses repères. Notre musique reste assez colorée, on se ressent plus d’une nature pacifiste que guerrière. Notre son s’étire plutôt vers la lumière mais cela ne nous empêche pas d’aimer des choses plus violentes comme ce que fait Mondkopf avec la maison de disques In Paradisium. J’aime penser que notre musique puisse faire découvrir un univers inconnu à l’auditeur. Une œuvre doit avant tout interroger l’individu. La fan base de Boards Of Canada s’inscrit dans cette dynamique. Elle s’interroge sur ses morceaux en allant rechercher les logiques ésotériques et mathématiques qui sont à leur inspiration. J’ai envie que les gens qui écoutent notre musique fasse de même.
Julien Naït-Bouda