Earth

Emanative – Earth

novembre 2018 |

Chroniquer un album suppose parvenir à cerner l’intention, le sentiment initial et le sentiment final. Cela demande des écoutes successives ; idéalement à des moments différents. Mais pour ce quatrième album du collectif anglais Emanative, les méthodes habituelles ne sont pas les bonnes, car cette nouvelle production est tout simplement en dehors de tout cadre habituel.

La taille du collectif impressionne : 8 musiciens forment la base permanente, à laquelle 7 autres viennent régulièrement porter main forte. Puis les invités sur cet album, au nombre de 4, apportent chacun une couleur différente à l’ensemble. Cela doit en faire le plus grand ensemble de jazz actuel, ou je ne m’y connais pas !

78 minutes de son : Belle durée. Durée nécessaire pour entrainer l’auditeur dans l’immense dédale de styles traversés (on y reviendra bientôt), et lui permettre d’en sortir sans s’y perdre.

Les 11 titres sont originaux. Contrairement au précédent album The Light Years Of The Darkness (Brownswood, 2015), on ne retrouvera pas Sun Ra, Alice Coltrane ou Don Cherry. C’est le leader Woodmansey, qui compose l’intégralité des morceaux présents sur Earth. Les styles varient d’un titre à l’autre. Au sein de chaque morceau d’une dizaine de minutes les ambiances ont le temps de s’installer et d’évoluer. Malgré cette diversité, l’ensemble est bien plus que la somme individuelle des morceaux. Il est plus juste concevoir l’album comme un livre composé de 11 chapitres cohérents et interdépendants.

Sortir un titre plutôt qu’un autre pour le décrire risque de déformer la perception de l’ensemble. Toutefois, passer à côté du titre Iyaàma interprété par Dele Sossimi (ancien pianiste de Féla) serait une faute : après une introduction au balafon de près de 5 min, le spiritual jazz s’impose en offrant une longue incantation à la déesse-mère des Yorubas. Sans en comprendre la teneur, nul doute qu’elle n’y soit attentive !

Avec Idris Ackamoor et ses Pyramids, le cosmic-jazz prend le temps de s’installer. Le saxo fait toujours des merveilles quand il est joué par cette légende de l’avant-garde afro-jazz américaine.

Enfin, le dernier titre de l’album, un raga indien mené par des tablas vibrants et lancinants, place l’auditeur dans un état de légèreté et de disponibilité mentale propice à la réflexion. C’est alors que l’œuvre se termine . Quelques phrases prononcées en français remercient l’auditeur et le conduisent à s’excuser de ce que l’humanité fait subir à la planète Terre.

Rarement un disque renferma tant de musique, tant de musiciens, tant de styles et finalement tant de sincérité. Un futur classique, j’en fais le pari !

Nicolas Duquenne