deux_filles_silence_and_wisdom

Silence and Wisdom de Deux Filles

juin 2016 |

A l’origine du monde, il y avait un rêve…

Alors que parut en ce début d’année le 3ème LP Space and Time du faux girl band Deux Filles, l’envie de se pencher sur la réédition (datée de 2013) d’un des disques fétiches de la période new-wave, Silence and Wisdom  était trop forte, ça tombe bien, il vient d’arriver chez Pop Culture Shop et L’International records, boutiques planquées dans la jungle des disquaires du XIème. C’est dans une période prise quelque part entre l’explosion du punk et les élucubrations synthétiques de Brian Eno que le groupe-concept Deux Filles naquit. Émergé d’une digression identitaire à la formulation transsexuelle quasi-ontologique, le duo porté par les compères Simon Fisher Turner et Colin Llyod Tucker donnera ainsi lieu à ce groupe totalement fantasmé si bien dans son propos que dans sa musique. L’objet en question bâtissait alors les jalons d’une musique éthérée dont les réverbérations oniriques n’ont cessé de traverser de multiples formations, des Cocteau Twins à toute la clique de groupes aujourd’hui estampillée dream pop et dans une plus large acceptation ambient.

Si nous sommes faits de la même matière que les rêves comme le prétendait Shakespeare, alors Deux Filles en est la parfaite formulation. De prime abord car le projet serait venu à Turner lors d’un songe, et surtout, en raison de cette chaire musicale à la résonance spectrale, faite d’arpèges cristallins étirant des fils de soie jusqu’aux cieux. Entrer dans la musique de ces deux êtres, c’est un peu plonger les deux pieds dans une longue et profonde médiation, avec au sortir de l’expérience, ce sentiment d’avoir pénétré une partie du réel jusqu’alors malicieusement dissimulée. Uniquement instrumentales, les compositions du binôme s’infiltrent ainsi dans l’âme au gré de mesures répétitives que seuls des éléments électroacoustiques viennent çà et là perturber. En résulte une onde sonore si bien énigmatique que psychédélique, portée par une structure qui lorgne de manière non éhontée du côté de l’expérimental.

Célébrant la réunion d’une musique à la fois organique et analogique, voir classique comme sur le titre Fleur’s Doll, ou se laissant aller à des échos exotiques rendant grâce à une anthropologie musicale d’une richesse infinie, Deux Filles est une clé de voûte essentielle pour interroger le son des groupes d’aujourd’hui. Une anamnèse musicale profitable à toutes les esgourdes et qui continue de traverser les âges sans la moindre ride. A bon entendeur !

Julien Naït-Bouda